Une fois n’est pas coutume, j’ai envie de raconter tout ce qui m’énerve ou me désole dans ce merveilleux pays, sans ordre ni priorité, en
suivant ce qui me passe par la tête, dans la catégorie des choses casse-pieds ou tristes… de nombreuses généralisations de ma part, qu’il ne faut bien entendu ne pas prendre au pied de la lettre,
mais des généralisations qui sont bien tentantes quand on voit plusieurs cas autour de soi ou dans une même rue.
Les enfants sont sales, pas seulement les enfants des rues. Contrairement à certains pays, où on dit que, même
miséreux, les enfants sont propres, bien soignés par leur mère, ici ce serait plutôt le contraire. Sans doute manque-t-on d’eau, la poussière de la ville aidant, les gens qui traînent, les chats
également d’ailleurs, sont crasseux, poussiéreux, pas bien lavés, la frimousse tachée. Les enfants font pitié. C’est encore plus flagrant depuis que je suis tous les jours dans la medina avec le
ryad. Il y a plus de pauvreté et de misère ici que dans notre quartier de la menara.
Les mendiants font pitié, en particulier les vieux et les femmes avec de jeunes enfants. La sécurité sociale n’est pas du
tout répandus. Elle n’est « offerte » qu’aux fonctionnaires et aux salariés (20% de la population). La retraite également. Alors, les personnes qui ne sont pas aidées ou accueillies par
leur famille, veuves, femmes répudiées, personnes âgées, tous se retrouvent dans la rue à mendier. On en voit beaucoup, partout, (mais peu d’hommes sains en âge de travailler, comme en France),
et je ne supporte plus ce spectacle, leur regard sur moi, nantie, j’ai honte de ne pas donner à chacun, vu que j’ai les moyens. J’ai décidé de donner une fois par jour à un ou une mendiant(e). Là
aussi, les mendiants sont plus nombreux dans les ruelles de la medina que dans les quartiers résidentiels.
Les femmes sont analphabètes, à 75% au moins, on les a laissées dans l’ignorance. Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas intelligente,
qu’elles n’ont pas de bon sens, qu’elles ne savent rien. Mais c’est dur de voir Souad, la jeune femme qui travaille pour nous au ryad, qui parle arabe, se débrouille en français avec les clients
du ryad, et qui ne sait ni lire ni écrire. Elle moins de 30 ans ! Elle est gentille, serviable, a plein d’idées, prend de bonnes initiatives pour enjoliver les chambres, elle est très propre
et travailleuse. C’est une perle et c’est dommage qu’elle n’ait pas appris à lire et écrire : elle aurait sûrement pu trouver un autre métier. C’est parmi les nouveaux projets du
gouvernement d’investir sur l’alphabétisation : programmes intensifs de cours, émissions de télé spécialisées (très bien faites) pour aider les gens (surtout les femmes) à apprendre le
minimum : écriture, conjugaison, calculs.
Les ânes sont tristes et mal traités, j’en pleure parfois, en les croisant ou en les dépassant dans un petit taxi : ils sont en
mauvais état, souvent maigres, parfois trop frappés par leur maître, les hanches aiguës sous des poils hirsutes. Les yeux tristes, la larme prête à couler, la langue pendante d’effort,
transportant une charrette lourde et instable, respirant les horribles gaz d’échappement des taxis, camions, mobylettes. Les mouches leur collent aux yeux, la bave coule de leur bouche fatiguée,
et ils continuent leur course sur l’asphalte irrégulière des rues, poussés par un patron miséreux, qui ne peut se passer de sont petit âne pour gagner son pain quotidien.
L’intégrisme se développe, on croise des femmes, telles des spectres, tout en noir ou gris, avec un voile qui couvre même les yeux, des
gants noirs sur les mains, une longue robe… c’est très élégant, très beau, en particulier quand les femmes sont élancées et fines, mais terrifiant quand on va un peu plus loin et qu’on prend la
mesure de ce que cela signifie, de ce que l’on impose à ces femmes et à leurs enfants (voir sa mère sans visage ainsi doit être bien inquiétant). Les hommes aussi montrent leur islamisme par leur
tenue : « les barbus » sont souvent beaux, bien bruns avec une belle barbe, ils ont toujours une tenue traditionnelle : gandoura ou djellaba, plus un petit bonnet blanc au
crochet.
Le « travail d’arabe », cela existe, malheureusement, et c’est tout le travail imparfait, mal fini, approximatif, qui est fait
par de nombreux artisans. Les artisans d’art sont moins mauvais travailleurs que ceux qui travaillent dans la construction par exemple. On trouve en effet du très beau travail, raffiné, léché,
parmi tout l’artisanat, et l’on peut faire faire tout ce que l’on veut. En revanche, le plombier, l’électricien, et d’autres, feront un boulot pas cher, correct, mais jamais fini (à mon
sens).
Le sentiment de non urgence pour tout, c’est bon pour calmer le stress du parisien moyen, mais c’est parfois insupportable pour quelqu’un
qui veut faire les choses de façon organisée et rapide, efficace, selon « nos » standards. Quand on ne bosse pas, ce n’est pas trop gênant, mais lorsqu’il s’agit de travailler, que l’on
dépend de la rapidité des autres pour pouvoir faire bien son propre travail, c’est un peu fatigant. On apprend à être zen, peut-être devient-on un peu marocain également. Je crois que j’aurais du
mal à reprendre un travail trop rythmé, alors que c’est quelque chose que j’ai toujours tellement apprécié.
Le non respect des délais, un drame pour moi, qui attends toujours tout ce que j’ai commandé dans le timing prévu, « ce n’est pas
grave » me dit-on…, ce qui est généralement vrai. Cela n’empêche pas que c’est énervant et, pour ma part, je préfère quelqu’un qui me demande un long délai et va le respecter plutôt que le
contraire. Ici, c’est l’inverse : on dit toujours oui, tout est toujours possible, sans problème. Alors on repart très content de sa commande. Puis, arrive le jour de la livraison :
c’est là qu’on s’aperçoit que rien n’a commencé : « on n’a plus la couleur que vous vouliez, elle est commandée, on l’aura dans 15 jours », « ce n’est pas prêt, on a eu un
problème avec le matériel », « ce n’est pas prêt, c’est le ramadan, alors on ne travaille pas comme d’habitude… »… toutes sortes d’excuses sont possibles, sans doute vraies. Alors
on se retrouve avec un travail souvent bon, de qualité, mais on est mécontent du temps perdu et des nombreux allers – retours pour rien.
La poussière, la crasse, la pollution, ici la ville est à moitié en travaux et à moitié pas goudronnée : le vent, fréquent, balaie les
rues, trimbalant avec lui tout ce qui traîne, poussière, sacs plastic, papiers divers… Les vieilles voitures, mobylettes, camions et autocars antiques complètent le tableau et l’air est parfois
irrespirable, irritant pour la gorge et pour les yeux. Les lunettes de soleil servent autant contre le soleil que contre les poussières dont on veut se protéger les yeux.
Les ordures ménagères, dans les rues, dans les terrains vagues, à côté de tout ce qui sert de poubelle collective et qui déborde, mal
gérées, mal ramassées. Dans notre jardin (les papiers de bonbons des enfants du dessus), partout, les sacs en plastic et les papiers traînent, à la fois parce que les gens jettent par terre
plutôt que dans une poubelle, mais aussi parce que les poubelles débordent. A côté de chez nous, la poubelle collective est un gros bidon rouillé posé dans un terrain vague. Les femmes du
quartier viennent régulièrement y déverser leur seau de cochonneries (épluchures et autres déchets essentiellement alimentaires), sans les emballer dans un sac poubelle. Tout se trouve en plein
air, au soleil, attire chats, chiens, enfants qui jouent autour, mendiants que cherchent à récupérer quoi que ce soit… cela finit, à force d’être fouillé par tous ces êtres, par se retrouver
étalé aux alentours de la poubelle. C’est jamais nettoyé réellement par les personnes qui s’occupent des ordures. Cela attire les mouches et autres bestioles. J’ai envisagé de monter une
association de quartier pour défendre la propreté de la rue, essayer d’instaurer des règles dans la façon de trier et jeter nos ordures. Je ne sais pas quand j’aurai le courage de monter cela. Je
ne veux surtout pas non plus avoir l'air de "donner des leçons".